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Alevis, des musulmans mystiques et futuristes...

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Message  Logos Lun 12 Avr 2010, 21:07

http://www.nouvellescles.com/article.php3?id_article=407

Alevis, des musulmans mystiques et futuristes...
Par Patrice van Eersel et Jean-Pierre Moreau

Étonnant mélange de modernisme (ils sont républicains, féministes, ouverts à la laïcité dès 1920) et de mysticisme, ils représentent un quart de la population turque. Leur mouvement, qui s’oppose à celui des intégristes, est en train de vivre un renouveau. Enquête.

Si l’on vous disait qu’il existe sur terre un peuple à la fois républicain et chamanique, qui pratique le culte de la nature tout en se passionnant pour la civilisation moderne, pour qui le principe suprême se dit « Allah » mais qui ne s’offusque ni de boire du vin ni de mettre l’homme et la femme sur pied d’égalité, un peuple dont les petits paysans côtoient facilement les intellectuels et les artistes... le croiriez-vous ? Comment une pareille synthèse serait-elle possible ? Pourtant, ce peuple existe. On les appelle Alévis et ils sont turcs. Pour eux, les rituels sacrés sont essentiellement des chants, qu’entonnent des poètes jeunes et vieux, au son du saz, sorte de luth oriental - aussi appelé « Coran à cordes » - et des danses qui, chaque dimanche, font tourner ensemble filles et garçons. Leurs troubadours sont aussi actifs et nombreux que dans nos plus beaux rêves de Moyen-Âge. Pourtant, ce sont des modernes - dont la jeunesse a toujours alimenté les frondes les plus révolutionnaires d’Anatolie (éventuellement marxistes, nous le verrons),... Leur devise pourrait être : prière, musique et démocratie, ou nature, danse et liberté. Ils disent volontiers : « Dieu est en l’homme, l’homme est en Dieu. Je me suis regardé dans la glace et l’Éternel m’est apparu. » Qui sont-ils ? Jusqu’au début des années 90, les médias mondiaux ne les avaient quasiment pas remarqués - ce qui en dit long sur la relativité de notre omniscience journalistique !
De l’islam turc, que savons-nous pour la plupart ? Certes, la réputation des soufis, derviches tourneurs ou hurleurs, a depuis longtemps franchi les frontières de l’Asie mineure. Mais lorsqu’il est question, ces temps-ci, de l’islam à Istambul ou Ankara, c’est tout de suite aux intégristes que nous pensons, aux réactionnaires. Rares sont ceux d’entre nous qui savent qu’environ un quart de la population turque actuelle - entre 20 et 25 % - appartient à la communauté alévie et que celle-ci constitue l’un des plus intéressants syncrétismes primitifs-futuristes qui se puisse concevoir.

Le mot syncrétisme est souvent utilisé de manière négative, pour désigner un mélange barbare d’emprunts faits à des traditions spirituelles hétérogènes, débouchant généralement sur une chimère non viable. Même si de grandes religions - le christianisme par exemple - peuvent être considérées comme des syncrétismes de diverses cultures, il existe en la matière bien plus de salmigondis monstrueux que de synthèses heureuses. Parmi ces dernières, la culture alévie d’Anatolie constitue un cas remarquable : on a rarement vu mariage plus réussi entre des fondements archaïques et une vision du monde adaptée aux impératifs modernes, voire post - modernes. L’islam ayant régné en maître exclusif pendant plus de mille ans sur toute la région, on aurait pu croire qu’il effacerait toutes les autres influences. Il n’en a rien été. Si les Alévis disent « Allah » pour désigner Ce qui n’a pas de nom, ces monothéïstes n’observent aucun des « cinq piliers » officiels de la religion musulmane (aller à La Mecque, faire sa prière cinq fois par jour, etc.). Ils ne lisent même pas le Coran ! Très proches des soufis, au point qu’on les confond parfois avec eux en Turquie, leur liberté spirituelle vis-à-vis de l’islam est telle qu’il leur arrive de désigner l’Unique sous la forme d’une Trinité - par exemple Allah-Mahomet-Ali, ou Allah-Mahomet-le Droit - ce qui passe, aux yeux des musulmans orthodoxes, pour une grave hérésie (et signale l’importance de l’influence chrétienne sur leur théologie).

En fait, ils préfèrent se désigner eux-mêmes sous le terme de bektashis, du nom de Haci Bektas (prononcer « Hadji Bektach »), un des grands saints de leur histoire.

Haci Bektas, un « guerrier poète »

Au milieu du XIIIe siècle, Haci Bektas, homme très sage, élève de Hamad Asawi et de Baba Ishaq avait fait, comme son nom l’indique, un pélerinage à la Mecque, quand il décida de s’installer en Cappadoce, une terre où les chrétiens étaient restés nombreux, malgré des siècles de djihad musulmane - en l’occurrence des chrétiens gnostiques, parfois nestoriens, plutôt opposés à l’Église byzantine. Fédérant en quelque sorte les désirs de ces chrétiens et des musulmans de la région (on raconte que sa femme elle-même était chrétienne), Haci Bektas prit la tête d’un mouvement de résistance culturelle des nomades anatoliens contre la tyrannie grandissante des Turcs seldjoukides venus des hauts-plateaux d’Asie centrale (issue de ces derniers, la dynastie ottomane devait finir par prendre Byzance, en 1453, et contrôler toute l’Asie mineure).

Bien après la mort de Haci Bektas (1271), des derviches créèrent l’ordre bektashi, dont les moines, ouverts aux idées aussi bien musulmanes (plutôt soufies) que chrétiennes (plutôt gnostiques), influencèrent d’abord la population de Cappadoce, avant de progressivement créer des réseaux à travers la Turquie tout entière.
Bien que méfiants vis-à-vis de leurs tendances hérétiques, les Ottomans eurent vis-à-vis des bektashis deux sortes de politique en alternance : tantôt ils les réprimèrent sauvagement, tantôt ils les utilisèrent comme colons dans les Balkans - où l’on retrouve leurs traces jusque de nos jours, par exemple en Albanie. Sept siècles plus tard, l’essentiel de leurs rituels et de leur credo demeure en tout cas bien vivants.

Le dédé joue du saz.

Les garçons tournent dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Plus tard, les filles les rejoindront dans la cour du tékké.
La danse-culte
Toute la pratique religieuse - mais aussi juridique, même si celle-ci ne concerne plus aujourd’hui que de « petits problèmes », dont les mariages et les divorces - est placée sous l’autorité d’un dédé, sorte d’évêque à la lointaine ascendance chamanique. Celui-ci désigne, pour l’assister, douze personnes, chargées des douze fonctions sacerdotales, dont : la direction de la musique, la conduite des cérémonies de circoncision, la distribution de l’eau, le lavement rituel des mains des fidèles, l’entretien des bougies...

Le rituel principal, appelé cem (prononcer « djem »), n’a besoin ni de mosquée ni d’église pour être célébré (plutôt le dimanche). Il s’agit pour l’essentiel d’une danse où plusieurs couples forment un cercle. La chorégraphie, très simple, rappelle certains folklores occitans ou magyars. Ouverts aux inspirations les plus mystiques, les chants, accompagnés au saz, jouent un rôle capital. Ce sont des chants éminemment pacifiques. Les Alévis sont des non-violents. Aux temps où le dédé était responsable de toute la justice, y compris pénale (échappant ainsi à l’« œil pour œil » du mollah ou du cadi), la pire condamnation, par exemple en cas d’assassinat, était la mise en quarantaine - ce qui signifiait l’exil.

Traditionnellement, le cem se termine par un repas rituel, où toute la communauté partage ses victuailles et son vin. Les moines bektashis, dont les couvents s’appellent des tekké, font vœu de célibat. Chez les fidèles, la polygamie est mal vue, sinon interdite, et le veuvage rarement interrompu par un second mariage, du côté des hommes comme des femmes.

Ces dernières ne sont pas voilées, mais se mettent un foulard sur la tête pendant les cérémonies. Les hommes, eux, portent un chapeau ou une casquette, en souvenir du turban rouge d’autrefois, qui leur valait le surnom de « têtes rouges » dans tout le pays et dont les danseurs continuent souvent de se couvrir le chef.

Pendant la circoncision, le jeune garçon est tenu sur les genoux d’un parrain, dont la famille devient « sœur » de la sienne. Ainsi, toutes les familles se trouvent-elles liées les unes aux autres par un réseau de sororité. Un autre rituel important, le musarit, consiste à donner à tout garçon pubère un « frère en religion » : lorsque deux « frères » se marient, leurs épouses deviennent « sœurs » à leur tour, au cours d’un autre rituel, et se promettent un soutien mutuel.

La clandestinité

Leur étonnante et rare liberté d’esprit, les bektashis l’ont payée très cher. Considérés comme hérétiques par les musulmans sunnites (tout comme ils l’auraient été par les catholiques), ils furent facilement pourchassés et massacrés. Très tôt, ils prirent l’habitude de la clandestinité. Mais celle-ci alimenta les rumeurs et l’on entra dans un cercle vicieux. Plus le temps passa, plus l’on raconta des horreurs sur eux.

Parmi les douze fonctions sacerdotales, nous évoquions le responsable des bougies : dans la pratique, son rôle était surtout de les éteindre sitôt que l’on signalait l’arrivée des gardes ottomans ! Ainsi naquit la fonction d’ « éteigneur de bougies », dont les musulmans orthodoxes eurent tôt fait de dire qu’il était un organisateur d’orgies : que peuvent faire ensemble des hommes et des femmes rassemblés dans une pièce où l’on boit du vin avant d’éteindre les bougies ?

La réputation des bektashis devint telle que, pour les étrangers (voyez les dictionnaires franco-turcs du début du siècle), le mot alévi fut longtemps une grave insulte. Jugez en plutôt : Alévi : adj. - Se dit d’une femme prostituée ou d’un homme dépravé ou incestueux.
Quand on sait que les Bektashis font plutôt partie des classes défavorisées de la nation turque, on imagine la difficulté qu’ils durent rencontrer (et rencontrent aujourd’hui encore) pour défendre leur honneur bafoué. Qu’ils aient persisté dans leur voie libertaire et non-violente malgré cette pression en dit long sur leur courage. Qu’ils aient réussi à le faire sans perdre en chemin leur inspiration poétique et mystique suscite surprise et admiration.

Certes, il y eut aussi de grands sursauts de révolte. Qui conduisirent jusqu’à l’adhésion passionnelle au parti communiste et à l’athéïsme marxiste. Pour la majorité des Alévis, surtout ceux qui vivent à la campagne, tout ce que nous venons de dire demeure absolument vrai. Pour beaucoup de citadins et d’intellectuels, en revanche, cela cessa de l’être dans les années vingt... et ne le redevient, progressivement, que depuis une dizaine d’années. Entrons donc dans l’ère contemporaine de la communauté bektashie/alévie.

Mystiques et politiques

L’esprit étonnamment moderne de ces descendants de nomades chamaniques les conduisit souvent, au début du XXe siècle, à s’écarter de manière classique de toute pratique religieuse. En butte aux persécutions systématiques du pouvoir central sunnite, qui s’était toujours méfié de leur étonnante adaptabilité - au point d’interdire et même de faire détruire leurs tekké à partir de 1826 -, les Alévis furent très heureux de sortir de la clandestinité en 1923, lorsque Mustafa Kemal proclama la république et lança son grand mouvement de laïcisation de la Turquie. Partisans enthousiastes du modernisme kémaliste, de nombreux jeunes Alévis poussèrent l’idéal laïc jusqu’au bout de sa logique démocratique et pluraliste. Beaucoup furent très déçus par l’intransigeance jacobine d’Atatürk face au désir d’indépendance des Kurdes.

Il se trouve que ces derniers sont souvent alévis... - ce qui ne simplifie pas les choses !
Du coup, poussée toujours plus loin dans le camp révolutionnaire, une partie importante de la jeunesse alévie s’engagea finalement au parti communiste et, un demi-siècle plus tard, se retrouve dans la myriade de groupuscules d’extrême- gauche qui s’activent en Turquie depuis trente ans. Pour ceux-là, il n’est plus question de bektashisme, ni a fortiori d’islam ou de christianisme - ce qui, aux yeux des Turcs sunnites majoritaires, renforce la mauvaise réputation des Alévis : non contents d’être des « alliés de Satan », ces « fornicateurs hérétiques » sont en plus des rouges ! Quand, à la suite de la révolution khomeyniste d’Iran (pourtant chi’ite comme les bektashis, mais dans une version cléricale et bureaucratique), les intégristes réussiront à prendre du poids en Turquie, l’oppression frappera à nouveau lourdement la communauté alévie. En mars 1995, lors d’un rassemblement culturel près d’Ankara, trente-sept personnes, dont plusieurs artistes et intellectuels bektashis, sont tuées dans un attentat perpétré par des fondamentalistes sunnites. Aussitôt, la foule des quartiers pauvres (puisque les Alévis constituent le bas de la pyramide sociale) descend dans la rue pour protester : la police tire dans le tas, faisant vingt-trois morts. Le martyre semble intimément lié à cette communauté paradoxale qui, tout en s’affirmant franchement hédoniste d’un côté, s’est toujours reconnue de l’autre dans les supplices légendaires des deux fondateurs de la scission chi’ite : Ali, neveu de Mahomet, et son disciple Hussein ; qu’un de ces deux personnages soit cité dans un chant ou un poème, lors d’un récital bektashi, et aussitôt la foule applaudit avec passion ! Il faut dire que, religieux zélés ou laïcs sceptiques, les Alévis continuent à chanter et à danser... ce qui, en fin de compte, les ramène à leurs racines.

Depuis le début des années quatre-vingt-dix, on assiste en effet à un retour massif à la tradition bektashie. En Turquie, mais aussi en Europe, où les Alévis sont plus d’un million - en Allemagne, en France, en Suisse, en Autriche, au Bénélux, en Grande-Bretagne. Souvent alimenté par les déçus des groupuscules gauchistes des années soixante-dix et quatre-vingt, le mouvement s’appuie sur une myriade d’associations culturelles. Celles-ci ne sont pas forcément devenues totalement apolitiques, comme on le voit dans les actions des Folles d’Istambul - admirable protestation de mères qui, à l’instar des grands-mères d’Argentine il y a dix ans, manifestent tous les samedis en s’asseyant par terre, place Galatasaraï, au centre de l’immense cité, en réclamant que la police dise ce que sont devenus leurs enfants, enlevés et sans doute torturés et assassinés depuis des mois, des années. Beaucoup des Folles d’Istambul sont alévies. Telle la vieille mère du militant disparu Hasan Ocak, admirable petite paysanne analphabète d’Anatolie, qui se retrouve aujourd’hui en tête du mouvement et qui explique aux télévisions internationales, flanquée de son mari : « Où qu’il se trouve, notre fils Hasan porte en lui un immense amour pour toute la création, pour les cailloux, pour les plantes, pour les animaux. Et nous aussi, nous portons en nous cet amour ».

Nous ne sommes pas habitués à entendre ce genre de discours dans la bouche de protestataires politiques. Dans un paysage mondial chaotique, où l’écroulement des idéologies matérialistes se double d’une aliénation de plus en plus frénétique aux mécanismes aveugles du marché, le renouveau du mouvement bektashi fait partie de ces précieuses sources d’inspiration qui peuvent prétendre soutenir une spiritualité adaptée au siècle qui s’annonce. En quoi ?

Nous sommes allés poser la question à Mahmut et Françoise Démir, un couple de musiciens qui animent aujourd’hui ce renouveau en France.

Nouvelles Clés : La communauté alévie-bektashie est entrée, dites-vous, dans une phase nouvelle ?
Françoise Démir : Le renouveau du mouvement est parti d’Allemagne, en 1989. C’est là-bas que les immigrés turcs sont les plus nombreux, le plus souvent originaires des régions les plus pauvres, donc souvent à dominante alévie. Au départ, le renouveau s’est fait sur une base clanique ou tribale - les premiers à évoluer ont été les Kurdes. Mais peu à peu, toute la communauté s’est trouvée concernée. On a alors vu se créer toutes sortes d’associations culturelles. Cela nous changeait des groupuscules d’extrême- gauche, qui avaient fini par aspirer tout l’élan créatif et vital de la jeunesse bektashie.

N.C. : Que font ces associations ? Qu’ont-elles en commun ?
Mahmut Démir : Elles réclament toutes la démocratie en Turquie, la reconnaissance du pluralisme et la défense d’une vraie laïcité, qui garantisse le droit d’existence de toutes les communautés confessionnelles non-sunnites. Ce qui a donné lieu à de terribles disputes entre groupes alévis. Les uns, restés classiquement « de gauche », ne supportaient pas que l’on critique Atatürk. Les autres expliquaient qu’il fallait s’émanciper de cette attache désormais rétrograde. Mustafa Kemal est le père de la Turquie moderne, d’accord, mais il faut ouvrir les yeux : il n’a jamais aidé les minorités.

F.D. : Heureusement, nous avons évité de nous embourber à nouveau dans la politique.
Le mouvement actuel est fondamentalement culturel et associatif, c’est bien plus important. Rien qu’en Europe, il existe aujourd’hui entre cent et cent-vingt associations alévies. Et le mouvement est toujours très fort en Turquie même. Aujourd’hui, il s’agit de réformer la société civile autour d’idées simples. Il existe un réel et grand désir de retrouver les rituels d’autrefois, le cem, les fêtes, l’esprit de partage... la communauté.

N.C. : En quoi peut-on vous dire chi’ites ?
F.D. : Nous nous sentons proches de tous les mystiques et notamment de ceux de l’islam, dont Ali et Hussein, fondateurs du chi’isme. Mais nous n’avons rien à voir avec le chi’isme d’État inventé par la dynastie iranienne des Safawides, au xvie siècle. Ces derniers ont été des centralisateurs terribles, qui n’ont cessé de pourchasser les soufis. Beaucoup de musulmans nous reprochent cette sympathie pour Ali et Hussein, alors que nous ne lisons même pas le Coran... Pour nous, la cause d’Ali est celle de la justice et du droit.

N.C. : Mais n’êtes vous pas musulmans ?
F.D. : Non. On pourrait dire que nous sommes des syncrétistes, pour qui le chamanisme, c’est-à-dire la recherche de Dieu dans la nature avec l’aide d’un guide, le chamane, compte autant que les religions du Livre.
M. D. : Pour nous, ce qui compte avant tout, c’est l’homme ! Dieu et l’Homme, ces deux notions sont indissociables. Et le chemin de la découverte de Dieu en l’homme passe par l’amour des pierres, des arbres, des rivières, des animaux... Pour nous, la nature est fondamentalement sacrée. Cela, les ex-militants marxistes le sentent bien, même s’ils ont beaucoup de mal à retrouver leurs racines. Ils sont encore souvent dans une grande ignorance et une grande confusion.

N.C. : Vous venez de diriger la rédaction de tout un numéro de la revue culturelle turque Anka, consacrée à la littérature populaire des asiks, les troubadours mystiques, généralement alévis. On y trouve les témoignages de deux chercheurs français celèbres, Jacques Lacarrière et Alain Gheerbrant, qui fréquentent les Alévis depuis déjà un bon moment...
F.D. : Ce sont de grands amis. J’espère que leur cercle s’élargira. La revue dont vous parlez donne de bons exemples de cette mystique bektachie, parfois si difficile à faire comprendre aux Occidentaux, et pourtant si évidente...
M. D. : Et si avant-gardiste ! Quand on pense que l’achik Yunus Emré pouvait chanter, au XIIIe siècle, un poème comme :

Nous avons plongé dans l’Essence
Et fait le tour du corps humain
Trouvé le cours des univers
Tout entier dans le corps humain
La Torah et les Évangiles
Les Psaumes et le Coran Toutes paroles écrites
Se trouvent dans le corps humain.

F.D. : À quoi répondent les vers de Daimi, asik du XXe siècle :
Je suis le miroir du monde
Puisque je suis un homme
L’océan où la Vérité prend forme
Puisque je suis un homme
Je peux écrire la Torah Je peux égréner
l’Évangile Percer les mystères du Coran
Puisque je suis un homme.
-


À lire :
Sur les traces du soufisme turc, recherches sur l’Islam populaire en Anatolie, Irène Mélikoff, éd. Isis, Istanbul (1992).
« Poètes Bektashis modernes : spiritualité et progressisme », in Poésie du Proche-Orient et de la Grèce, Conseil de l’Europe et Université des Sciences humaines de Strasbourg, Atelier européen (1989), ASFAR, Paris.
Haci Bektas, un mythe et ses avatars, Genèse et évolution de l’Islam populaire de Turquie, éd. Brill, Leide (1996).
Têtes rouges et bouches noires, Altan Gökalp, Société d’Ethnographie, Paris (1980).
La Poussière du monde, Jacques Lacarrière, Nil éditions.
« Alévisme et Bektashisme, alliés naturels de la laïcité en Turquie ? », in Islam et Laïcité, Approches globales et régionales, L’Harmattan.
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Message  Logos Mer 14 Avr 2010, 13:44

by Stelios :

Ah j'avais oublié père castor et les aventures des bektashis au pays des tetes rouges...
En fait c'est une longue histoire...une trés longue histoire qui commence bien avant l'enfance de l'humanité actuelle...une histoire qui suppose que ce soit succédé les hommes et les civilisations depuis trés longtemps.

Cette histoire fait partie d'une tradition orale...les vieux nous la racontaient quand on etait gamins..ils ne savaient pas lire ni ecrire...mes grand-parents vivaient dans des cabanes sans eau ni electricité quand ils etaient enfants...dans le quartier grec..ils passaient les nuits autour du feu a se raconter des histoires..et plus tard devenus vieux eux aussi ont raconter...donc il ne s'agit que d'un minable résumé...Père Castor mon cul...

Le courant Bektashi apparait au 15e siécle en cappadoce sous l'impulsion d'Hadji-Bektash...Pourtant il s'agit d'un courant qui prend racine a l'aube de l'histoire connu...un chamanisme oriental ultra-sophistiqué et libertaire qui a perfusé tous les cultes d'asie-mineure.

En cappadoce il se manifeste sous la forme d'un culte trés ouvert mais d'un culte quand meme...avec ses tekke (couvent),ses dogmes et tout ça...toujours la cristallisation de ce qui au depart est liquide...ce culte regroupe des chretiens gnostiques,des musulmans soufis et des nomades kurdes...le bektashisme se répandra dans tous les balkans et de nombreux bektashis sont tziganes...



Les bektashis sont assimilés aux alevis (et a d'autres courants chamaniques d'asie mineure comme les yezidis que les chretiens et musulmans appellent adorateurs du demon)...alev c'est le feu...on appelle les alevis les tetes rouges...leur vision est trés trés trés ancienne...l'expliquer en quelques mots est impossible...alors on peut dire qu'ils existent en vibrant avec chaque élément qui compose la nature...qu'ils venerent aussi bien l'ombre que la lumière (et c'est une interpretation moralisante de ce truc qui a donné le dualisme et l'heresie et qui les a assimilé a des adorateurs du diable)...qu'ils voyagent a travers les couches de la réalité grace a des technologie archaiques..que les grottes et les montagnes sont leurs eglises pour des raison historico-astronomique....qu'ils sont vieux comme le monde...qu'ils dealent avec toute une serie d'anges qui sont identiques aux orishas du vodun...que leur chamanisme utilise la force du serpent et les ailes des oiseaux (le livre d'attar sur le roi des oiseaux emanent de leur tradition)...que le bleu a une valeur particulière a leurs yeux (les yeux bleus grecs contre le mauvais sort viennent de la)....ils dansent et font de la musique pour vibrer a la frequence du monde...ils sont pelerins comme les anges en exil leurs ancetres et comme les zaddiks les pretres-errants de la tradition juive qui menaient une existence sauvage,faisaient la pluie grace a l'usage de la parole agissante et passaient de longues periodes dans les grottes et collines a apprendre la langue de la nature...

Aprés l'arrivée d'Attaturk au pouvoir ce courant sauvage s'est transformé...culte bektashi et alevis dans tous les balkans qui est devenu un des courants (le plus libertaire) du soufisme...certains alevis turcs ou kurdes sont devenus militant revolutionnaires d'extreme gauche...d'autres aprés la grande catastrophe de 1922 et le genocide grec d'asie-mineure sont rentrés en grece ou ailleurs en europe ou ils sont devenus rebetes...ces marginaux qui vivaient de musique,de danse et d'exces...des fumeurs de hash,d'opium qui menaient la vida loca et s'enivraient de musique de danse et reglaient les problemes au couteau...



Voila et ce courant a irrigué notre modernité en coulisse...tous les courants souterrains qui font fleurir la vision de l'ombre et de la lumière,du flux vivant et de la grande danse...
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Message  Logos Mer 14 Avr 2010, 14:13

Un peu de poesie Alevis/Bektashis

Je suis le miroir du monde
Puisque je suis un homme
L’océan où la Vérité prend forme
Puisque je suis un homme
Je peux écrire la Torah Je peux égréner
l’Évangile Percer les mystères du Coran
Puisque je suis un homme.

Daimi

Nous avons plongé dans l’Essence
Et fait le tour du corps humain
Trouvé le cours des univers
Tout entier dans le corps humain
La Torah et les Évangiles
Les Psaumes et le Coran Toutes paroles écrites
Se trouvent dans le corps humain.

yunus


"On pourrait dire que nous sommes des syncrétistes, pour qui le chamanisme, c’est-à-dire la recherche de Dieu dans la nature avec l’aide d’un guide, le chamane, compte autant que les religions du Livre.

Pour nous, ce qui compte avant tout, c’est l’homme ! Dieu et l’Homme, ces deux notions sont indissociables. Et le chemin de la découverte de Dieu en l’homme passe par l’amour des pierres, des arbres, des rivières, des animaux... Pour nous, la nature est fondamentalement sacrée."

Alevis contemporains


WHIRLING par omar farouk tekbilek...tourner tourner tourner

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Message  Logos Jeu 15 Avr 2010, 10:04

GNAWA DU MAROC

Dans la structure culturelle gnaoua, la musique n’est qu’un moyen pour créer l’atmosphère propice qui permet au corps de se libérer des contraintes exercées par la conscience pour plonger dans les profondeurs infinies du monde de l’au delà. On se sert de la musique en tant que thérapie pour soigner les maladies dues à une intervention de mauvais esprits.



Un Mâallem « maître » Gnaoua n’est pas un simple musicien chevronné à la tête d’une troupe et qui tient à satisfaire un public. Il est, par contre, la pierre maîtresse dans un organigramme mystérieux, dans lequel la musique guérit l’âme et la débarrasse des sédimentations du temps. En faisant appel à des créatures possédant des pouvoirs surnaturels omniprésentes avec lesquels la communication se fait par l’intermédiaire de la musique, la danse , les couleurs et les encens.



La musique est répartie en morceaux destinés chacun à un « mlouk » esprit. La cérémonie de la Lila (nuit) est appelée ainsi car les rituels gnaoua sont obligatoirement une activité nocturne bien que les préparatifs commencent avant la tombée de la nuit. Dans une Lila On joue de la musique Gnaoua tout en respectant un rituel bien structuré. La Lila est un rituel qui porte des connotations religieuses et qui revêt un aspect sacré et qui se déroule dans une atmosphère de recueillement plutôt qu’une séance de divertissement. Le respect du lieu de la cérémonie est chose requise.


Le respect des participants qu’ils soient humains ou surnaturels est une loi à ne pas enfreindre. Un Mlouk est un être surnaturel qu’on évoque par la musique Gnaoua. La musique Gnaoua est un moyen pour inviter les personnages des Mlouks (esprits) qui sont attirés par la musique et le chant qui commencent dans un rythme très doux puis remonte petit à petit pour arriver à une apogée ou le danseur rentre en transe une fois l’implication des esprits est réussie il n’est plus maître de lui-même.



Les gnawas sont pour la plupart des descendants d'esclaves noirs qui sont originaires d'afrique sub-saharienne...ainsi leur relation aux Mlouks s'apparente pas mal aux relations avec les voduns des cultes yorubas ou fon du Benin ou du Nigeria ou les orishas et Loas afro-americain...(et il existe aussi des similitudes frappantes avec les cultes d'asie-mineure ou ceux de la Grece antique)

Au Maroc, où ils sont les plus nombreux, descendants d'esclaves ou de soldats du Sultan, ils ont tout naturellement conservé dans leur cœur les esprits vénérés par leurs ancêtres en les assimilant aux djinns ("génies") dont le Coran reconnaît l'existence, mais aussi aux saints du soufime. On peut facilement comparer ce "transfert" à la façon dont les orishas des Yoruba et les vodun béninois ont été "baptisés" des noms de saints catholiques à Cuba ou au Brésil.

Certains rites des Gnawa présentent d'ailleurs une similitude frappante avec ceux pratiqués dans le Nouveau Monde : par exemple, selon Henri Lecomte, au sanctuaire de Sidi Mohamed Mejdoub, à Mostaganem, les Gnawa se rendent en procession jusqu'à la plage où ils s'immergent et font des offrandes, comme dans le culte afro-brésilien de Yemanja…

FUNKY GNAWA : http://www.myspace.com/funkygnawa
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