L'occultisme des allumettes

Je reçois parfois par messagerie des questions étonnantes. Ainsi, récemment, il m'a été demandé si nous pouvions conseiller un site ou un forum dédié à l'alchimie "opératoire", sous-entendant par là que l'alchimie dont nous parlons sur "GR00 – A la Croisée des Chemins" serait une alchimie "spéculative". Voilà une question qui m'a laissé un moment pantois, puisqu'il est clair qu'il n'est question, sur notre forum, que d'Alchimie opératoire, et nullement d'Alchimie spéculative. Mais je n'ignore pas qu'il est parfois difficile de voir ce qui est trop évident, et cette anecdote m'a rappelé qu'il m'était quelquefois arrivé à moi-même de ne pas voir ce qui était bien en évidence devant mes yeux.

Ainsi, on connaît bien sûr l'histoire du bonhomme qui cherchait en vain partout les lunettes qu'il portait pourtant sur le nez. On sait aussi qu'il existe un adage qu'on cite parfois dans les films d'espionnage ou romans policiers : "pour bien cacher une chose, mettez-la bien en évidence". Et de fait, ce qui est bien en évidence, mais organisé sous une forme que l'esprit n'est pas préparé à reconnaître est presque à coup sûr éliminé immédiatement du champ de recherche. En réalité, beaucoup de choses ne sont pas perçues non pas parce qu'elles sont cachées, mais parce que le cerveau n'est pas prêt à les reconnaître sous une forme différente de ce qu'il imagine. C'est comme avec le problème géométrique bien connu : comment former quatre triangles équilatéraux avec 6 allumettes ?



La solution réside essentiellement dans la façon de penser "autrement" par rapport aux habitudes. Autrement que ce qui semble ordinaire. Après, une fois qu'on a trouvé comment conceptualiser la solution, il devient impossible de penser comme auparavant. Il y a quelque chose "d'initiatique" dans cette devinette avec les allumettes, puisque trouver la solution force à changer de cadre référentiel.

Avec l'Alchimie, c'est un peu pareil. Il y a des gens qui veulent s'auto-persuader que les processus opératoires nécessitent obligatoirement des matières, des récipients, des cuissons, alors que non : l'alchimie opératoire, c'est à la fois celle par laquelle on opère et celle qui opère, celle qui fait quelque chose, qui agit, qui transforme, qui transmute.

Partant de ce constat, on observe que certains manipulent des matières au fourneau en spéculant selon diverses hypothèses pour voir où ça pourrait les mener, en échangeant des "recettes", espérant progresser par leurs discussions et leurs essais répétés. C'est l'alchimie spéculative. A l'opposé, d'autres préfèrent cibler l'essentiel en œuvrant dynamiquement et concrètement sur leur propre être sans se disperser en vaines manipulations matérielles. On est en plein dans l'alchimie opérative, cette dernière pouvant à terme conduire à la réalisation concrète du grand œuvre.
Pour bien comprendre la différence entre les deux et pour être capable d'envisager le renversement du vocabulaire par rapport au référentiel dominant, il y a lieu de sortir du conditionnement mental, du formatage de cerveau imposée par ce mode de penser en vigueur. Les exercices mentaux comme celui avec les 6 allumettes aident à cette libération du carcan que l'esprit s'impose à tort.

Comme ceci, peut-être ?

Non-non.

On ne brise pas les allumettes.

Et les triangles doivent être équilatéraux (leurs trois côtés égaux), ce qui n'est pas le cas des diagonales du carré de Laposse (ils sont isocèles : seulement deux côtés égaux).

Je rappelle que la solution nécessite de penser autrement, de faire éclater les schémas de pensée habituels !

Sapristi ! Que me suis-je cassé la tête sur ce truc !

Mais j'ai trouvé !

La solution consiste effectivement à changer de façon de penser !

Calcédoine a écrit:On est en plein dans l'alchimie opérative, cette dernière pouvant à terme conduire à la réalisation
[…]
Il y a lieu de sortir du conditionnement mental, du formatage de cerveau imposé par ce mode de penser en vigueur.

C'est ce que j'ai fait. Je suis parti de l'analogie avec l'alchimie, et j'ai pensé à l'œuvre au noir, à la putréfaction, la nigredo.
J'ai spéculé là-dessus et je me suis dit que la solution passait par quelque chose de noir. J'ai pensé au cendres.

Calcédoine a écrit:Je rappelle que la solution nécessite de penser autrement, de faire éclater

J'ai alors cherché comment faire éclater tout ce bazar, et j'ai fait brûler 5 allumettes : Calcédoine => calcination.

Ça a produit un petit tas de cendres, et avec la sixième, j'ai pu tracer les 4 triangles.

Photo du résultat obtenu au laboratoire :

Directement de l'œuvre au noir à la réalisation du grand œuvre.

C'était simple, au fond !

Au fou ! Il a cramé les allumettes !

Bon, je donne la solution avant que quelqu'un ne provoque un incendie, ou une autre catastrophe pire encore (sachant qu'il y a des lecteurs de notre forum qui jouent avec des forces nucléaires ).

Il s'agissait de sortir de la logique plane qui consiste à poser les allumettes sur un seul plan, et de tirer profit de l'existence d'une autre dimension. Pour faire apparaître quatre triangles équilatéraux avec seulement 6 allumettes sans détruires celles-ci en aucune façon, il fallait donc penser en termes d'espace à 3 dimensions, et construire un volume, le tétraèdre.Dans bien des domaines, c'est tout pareil : c'est en abandonnant le carcan des idées reçues qu'on peut découvrir un univers plus vaste, riche en solutions inédites.

Il n'y a pas de secrets, rien n'est vraiment occulté : tout est là devant nos yeux, tout est visible pour qui sait acquérir la bonne façon de voir.

La vache !! Laposse et toi, vous avez vraiment des Q.I. latéraux !

Q.I. ? Q.I.?

Les chèvres polyglottes parleraient-elle donc la langue des oiseaux ?

Ah bravo ! Grâce à Laposse, voilà une expérience vécue qui, à votre insu, s'est muée en véritable parodie des dérives de l'Alchimie ! J'aurais placé ce fil dans " Humour" ou dans " Pastiches bien frais", mais il n'était évidemment pas possible de deviner la tournure qu'allait prendre l'ensemble au moment où Calcédoine a commencé son sujet.

Finalement, même si l'humour est très présent ici, et bien à sa place, la manière dont la pyramide tétraédrique en allumettes illustre magistralement la nécessité de "penser autrement" donne à cette expérience vécue une valeur didactique indéniable.

Restons dans l'humour:

ma cousine du Cachemire (celle qui a réussi ) m'envoie ces deux photos...

La première montre un exemple (parmi un nombre illimité de solutions, dit-elle) de résolution du problème où l'on obtient non pas 4, mais 6 triangles équilatéraux : 2 grands et 4 petits...


La deuxième est un cas particulier, ayant la particularité de donner 8 triangles équilatéraux : 2 grands et 6 petits... Ma cousine précise : "c'te solution là devrait plaire à tes copains....", mais là j'avoue que ça m'échappe

Mais oui, parfaitement, ces deux solutions me plaisent aussi.
Correct, jeune homme !
Rien, dans l'énoncé, ne précisait que les triangles devaient tous avoir une seule et même taille ! Hé hé !
Le Sceau de Salomon offre d'ailleurs 8 triangles équilatéraux pour le prix de 6, dont 6 de taille identique ! Profitons de l'aubaine !
C'est d'ailleurs cette figure qui exprime peut-être le mieux le titre du fil "L'occultisme des allumettes".

Comme quoi il n'était pas nécessaire d'incendier les matériaux de construction pour construire une des solutions.
Par contre, il fallait savoir se défaire des limites psychologiques que nous nous imposons souvent à nous-mêmes.
Explosons les schémas mentaux inadéquats !

Dans la vie, bien des solutions nous semblent inaccessibles faute de "penser largement".
Nous nous enfermons nous-mêmes dans des carcans et des habitudes mentales que les situations n'imposent pourtant pas.
Résultat : nous ne voyons pas les solutions pourtant évidentes qui sont là, à notre portée.

Je persiste à penser que l'élévation passe par la calcination. Pour tourner la page et acquérir une "autre façon de penser", il faut accepter de brûler ce qu'on a adoré, avec humilité.

Courbe la tête, fier Sicambre, adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré (St-Rémi, à Clovis) INRI : Igne Natura Renovatur Integra / La nature est intégralement rénovée par le feu (adage ésotérique) Laisser des cendres avant de monter (SNCF)

Mon cher Laposse, ta solution aux problèmes des allumettes reste de loin la plus rigolote!

Mais dis-voir: brûler ce qu'on a adoré, ça ne paraît pas poser trop de problème, pas vrai?

C'est plutôt brûler ce qu'on adore qui pourrait poser (éventuellement) problème...

Calcédoine a écrit:Il s'agissait de sortir de la logique plane qui consiste à poser les allumettes sur un seul plan, et de tirer profit de l'existence d'une autre dimension. Pour faire apparaître quatre triangles équilatéraux avec seulement 6 allumettes sans détruires celles-ci en aucune façon, il fallait donc penser en termes d'espace à 3 dimensions, et construire un volume, le tétraèdre.

A propos d'existence d'une autre dimension : de 3 dimensions on peut aisément arriver à la 4ème dimension grâce au tesseract qui nous permet de comprendre, par la géométrie, l'existence de cette 4ème dimension.

En géométrie, un tesseract est un objet à quatre dimensions spatiales : son intersection avec un espace peut être un cube de la même façon que l'intersection d'un cube avec un plan peut donner un carré. Le tesseract peut être développé en huit cubes, comme le cube peut être développé en six carrés. ( source : wikipedia - 4ème dimension)


Une projection 3D d'un tesseract exécutant une rotation simple sur un plan qui coupe la figure à partir de l'avant-gauche vers l'arrière-droit et du haut vers le bas.

Le tesseract est l'analogue quadridimensionnel du cube (tri-dimensionnel), où le mouvement le long de la quatrième dimension est souvent une représentation pour des transformations liées du cube à travers le temps.


Une projection 3D d'un tesseract exécutant une double rotation sur deux plans orthogonaux. (source : wikipedia - tesseract)