Saints céphalophores
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Saints céphalophores
Bonjour à tous,
Voici un sujet qui me tient à cœur et que j'ai envie de partager avec vous car les grilles de lecture sont multiples et la symbolique semble être à forte connotation alchimique.
Dans le Grand livre des saints : culte et iconographie en Occident (éd. Créer, 2006), Jacques Baudoin donne une vision du phénomène sous un angle historique et artistique, qui n'est pas dénué d'intérêt, mais il n'aborde presque pas la possibilité d'une interprétation spirituelle et/ou symbolique.
Brièvement, les grandes lignes sont :
• une origine qui remonterait au IVe siècle : "saint Jean Chrysotome parle de ces martyrs qui se présentaient devant le roi du ciel avec leur tête entre les mains : il s'agissait alors du symbole de l'offrande de la vie des martyrs";
• Xe siècle : la "légende" se développe en Occident et s'appuie sur un phénomène physiologique, la lingua palpitans (c'est l'hypothèse de Maurice Coens, 1956), tout en étant une répétition plus ou moins fidèle de la célèbre histoire de saint Denis. Nombre d'entre eux sont fêtés en octobre (intéressant ? mais pourquoi ?).
• leur cheminement post-mortem, la tête à la main, entre le lieu de leur martyre et leur sépulture, serait une façon d'évoquer la diffusion des reliques.
Il propose ensuite une répartition géographique des principaux céphalophores entre 6 grandes zones :
Ile-de-France/Normandie, Champagne/Lorraine, Limousin/Berry/Bourbonnais, Bourgogne/Franche-Comté, Picardie/Hainaut, Bretagne/Val-de-Loire.
Les trois niveaux de la céphalophorie sont, tels qu'il les présente :
- le martyr tient, à deux mains, sa tête fendue, restée sur ses épaules : saint Avertin, saint Germain (à Mièges) ;
- le martyr présente devant lui sa calotte crânienne : saint Nicaise,
- le martyr porte dans ses mains sa tête entière : saint Denis.
L'ouvrage est en partie consultable sur google books.
Pour ma part, j'apprécie tout particulièrement la vision symbolique de Robert-Régor Mougeot (déjà croisé sur ce forum).
Il cite notamment Emmanuel-Yves Monin (De la chevalerie à la libération, éd. Point d'eau, 1990) :
« L'homme ou la femme a symboliquement la tête tranchée, mais la tient bien en main, au niveau du cœur, car son mental est purifié.
La décapitation n'est pas un acte violent et n'implique aucune souffrance puisqu'il n'y a plus identification avec le mental.
Dans de nombreuses 'légendes' toujours symboliques, le connaissant décapité marche en tenant dans ses mains sa tête coupée. Le mental est tenu à sa juste place, c'est-à-dire celle de serviteur et non de maître ; il s'agit de 'perdre la tête' ratiocinante, mais de la garder en main pour formuler ce qui est à formuler. »
"L'Amour divin peut alors rayonner" => des anges placent un soleil radiant à l'endroit de la tête coupée.
Régor consacre de nombreux articles à ce thème, sur son blog http://vivrevouivre.over-blog.com/.
Le saint céphalophore traverse bien souvent une rivière pour ensuite gravir une colline (ou en descendre) et enfin se reposer sur une pierre.
Par exemple Élophe qui aurait porté sa tête coupée au sommet d'une colline; là il se serait assis sur une pierre qui se serait creusée pour lui former un siège (autant dire un trône).
Et c'est là que la symbolique alchimique prend toute sa portée puisque l'on retrouve les 3 principales phases du GO :
- décapitation, le corps est séparé de la tête / de l'esprit, puis se relève = mort et résurrection
- purification de la tête dans une rivière, fontaine... = spiritualisation du corps
- gravissement de la colline et/ou atteinte de la pierre (tombale - philosophale) = immortalité de l'âme
Philippe Gabet, dans le Bulletin de la société de mythologie française nous indique par ailleurs que le thème n'est pas exclusivement chrétien :
"Orphée, dont la tête, emportée par le courant du fleuve, continue de clamer le nom d'Eurydice", ou encore "l'importance accordée par les Gaulois à la tête : les têtes coupées des vaincus, qui étaient rituellement exposées. Mais aussi des 'dieux-têtes', des figures divines dont la représentation ne comprend que cette partie du corps."
Dans la mythologie galloise, la tête de Brân continuait à parler et à festoyer avec les siens.
En Scandinavie, Odin possédait une tête parlante, celle du sage Mimer, qu'il avait fait enchâsser dans de l'or à la mort du héros.
"Ces têtes parlent au nom de Dieu car, étant séparées du reste du corps, elles sont devenues de purs Esprits."
Sources :
http://www.mythofrancaise.asso.fr/mythes/themes/cephalop.htm
http://members.societe-jersiaise.org/geraint/helier/tete.html
Les Mérovingiens enterraient souvent leurs morts en séparant la tête du corps et l'on a constaté que les lieux dédiés aux saints céphalophores sont souvent liés à ces sépultures mérovingiennes. Saint Denis (Dionysos) évidemment, qui garde les tombeaux des rois de France, mais il n'est pas le seul !... On peut donc difficilement douter d'une origine antérieure au christianisme.
Je terminerai en insistant sur l'importance que revêt le cheminement physique et spirituel de ces saints et de toute personne aspirant à l'union au divin, et l'on constate bien souvent que la géographie des lieux saints renvoie à notre géographie intérieure, mais là je prêche des convaincus !
Géographie sacrée issue des travaux de Roger Guasco (que je découvre avec un immense intérêt)
La tête serait-elle une porte ? Le porteur sachant porter...
Au plaisir de vous lire !
Voici un sujet qui me tient à cœur et que j'ai envie de partager avec vous car les grilles de lecture sont multiples et la symbolique semble être à forte connotation alchimique.
Dans le Grand livre des saints : culte et iconographie en Occident (éd. Créer, 2006), Jacques Baudoin donne une vision du phénomène sous un angle historique et artistique, qui n'est pas dénué d'intérêt, mais il n'aborde presque pas la possibilité d'une interprétation spirituelle et/ou symbolique.
Brièvement, les grandes lignes sont :
• une origine qui remonterait au IVe siècle : "saint Jean Chrysotome parle de ces martyrs qui se présentaient devant le roi du ciel avec leur tête entre les mains : il s'agissait alors du symbole de l'offrande de la vie des martyrs";
• Xe siècle : la "légende" se développe en Occident et s'appuie sur un phénomène physiologique, la lingua palpitans (c'est l'hypothèse de Maurice Coens, 1956), tout en étant une répétition plus ou moins fidèle de la célèbre histoire de saint Denis. Nombre d'entre eux sont fêtés en octobre (intéressant ? mais pourquoi ?).
• leur cheminement post-mortem, la tête à la main, entre le lieu de leur martyre et leur sépulture, serait une façon d'évoquer la diffusion des reliques.
Il propose ensuite une répartition géographique des principaux céphalophores entre 6 grandes zones :
Ile-de-France/Normandie, Champagne/Lorraine, Limousin/Berry/Bourbonnais, Bourgogne/Franche-Comté, Picardie/Hainaut, Bretagne/Val-de-Loire.
Les trois niveaux de la céphalophorie sont, tels qu'il les présente :
- le martyr tient, à deux mains, sa tête fendue, restée sur ses épaules : saint Avertin, saint Germain (à Mièges) ;
- le martyr présente devant lui sa calotte crânienne : saint Nicaise,
- le martyr porte dans ses mains sa tête entière : saint Denis.
L'ouvrage est en partie consultable sur google books.
Pour ma part, j'apprécie tout particulièrement la vision symbolique de Robert-Régor Mougeot (déjà croisé sur ce forum).
Il cite notamment Emmanuel-Yves Monin (De la chevalerie à la libération, éd. Point d'eau, 1990) :
« L'homme ou la femme a symboliquement la tête tranchée, mais la tient bien en main, au niveau du cœur, car son mental est purifié.
La décapitation n'est pas un acte violent et n'implique aucune souffrance puisqu'il n'y a plus identification avec le mental.
Dans de nombreuses 'légendes' toujours symboliques, le connaissant décapité marche en tenant dans ses mains sa tête coupée. Le mental est tenu à sa juste place, c'est-à-dire celle de serviteur et non de maître ; il s'agit de 'perdre la tête' ratiocinante, mais de la garder en main pour formuler ce qui est à formuler. »
"L'Amour divin peut alors rayonner" => des anges placent un soleil radiant à l'endroit de la tête coupée.
Régor consacre de nombreux articles à ce thème, sur son blog http://vivrevouivre.over-blog.com/.
Le saint céphalophore traverse bien souvent une rivière pour ensuite gravir une colline (ou en descendre) et enfin se reposer sur une pierre.
Par exemple Élophe qui aurait porté sa tête coupée au sommet d'une colline; là il se serait assis sur une pierre qui se serait creusée pour lui former un siège (autant dire un trône).
Et c'est là que la symbolique alchimique prend toute sa portée puisque l'on retrouve les 3 principales phases du GO :
- décapitation, le corps est séparé de la tête / de l'esprit, puis se relève = mort et résurrection
- purification de la tête dans une rivière, fontaine... = spiritualisation du corps
- gravissement de la colline et/ou atteinte de la pierre (tombale - philosophale) = immortalité de l'âme
Philippe Gabet, dans le Bulletin de la société de mythologie française nous indique par ailleurs que le thème n'est pas exclusivement chrétien :
"Orphée, dont la tête, emportée par le courant du fleuve, continue de clamer le nom d'Eurydice", ou encore "l'importance accordée par les Gaulois à la tête : les têtes coupées des vaincus, qui étaient rituellement exposées. Mais aussi des 'dieux-têtes', des figures divines dont la représentation ne comprend que cette partie du corps."
Dans la mythologie galloise, la tête de Brân continuait à parler et à festoyer avec les siens.
En Scandinavie, Odin possédait une tête parlante, celle du sage Mimer, qu'il avait fait enchâsser dans de l'or à la mort du héros.
"Ces têtes parlent au nom de Dieu car, étant séparées du reste du corps, elles sont devenues de purs Esprits."
Sources :
http://www.mythofrancaise.asso.fr/mythes/themes/cephalop.htm
http://members.societe-jersiaise.org/geraint/helier/tete.html
Les Mérovingiens enterraient souvent leurs morts en séparant la tête du corps et l'on a constaté que les lieux dédiés aux saints céphalophores sont souvent liés à ces sépultures mérovingiennes. Saint Denis (Dionysos) évidemment, qui garde les tombeaux des rois de France, mais il n'est pas le seul !... On peut donc difficilement douter d'une origine antérieure au christianisme.
Je terminerai en insistant sur l'importance que revêt le cheminement physique et spirituel de ces saints et de toute personne aspirant à l'union au divin, et l'on constate bien souvent que la géographie des lieux saints renvoie à notre géographie intérieure, mais là je prêche des convaincus !
Géographie sacrée issue des travaux de Roger Guasco (que je découvre avec un immense intérêt)
La tête serait-elle une porte ? Le porteur sachant porter...
Au plaisir de vous lire !
Gamaioun- Nombre de messages : 12
Date d'inscription : 01/03/2012
Re: Saints céphalophores
Bonjour Gamaioun,
J'ai trouvé quelques références relatives aux ouvrages que tu cites :
Site du Bulletin de la société de mythologie française.
Tant d'ouvrages intéressants, à lire… à tête "reposée" !
J'ai trouvé quelques références relatives aux ouvrages que tu cites :
. | De la Chevalerie à la libération Emmanuel Yves Morin et Alma-Laure Gaucher Editions du Point d'Eau (1990, réédité en novembre 2008) ISBN: 2-905070-11-0 |
Tant d'ouvrages intéressants, à lire… à tête "reposée" !
Calcédoine- Admin
- Nombre de messages : 325
Date d'inscription : 02/04/2008
Re: Saints céphalophores
Bonjour. J'ai photographié ces saints céphalophores sculptés sur la partie gauche de la façade principale de la cathédrale d'Amiens. Il s'agit de saint Fuscien et Saint Victoric. Constatons que les têtes (coupées) ne sont pas au même niveau. Saint Fuscien porte la sienne au niveau du cœur, alors que ses pieds semblent flotter sur un petit nuage. Quant à Saint Victoric, il porte sa tête devant sa gorge mais garde les pieds bien sur terre.
Garfield- Nombre de messages : 176
Age : 43
Date d'inscription : 20/07/2008
Re: Saints céphalophores
Saint Denis est, plus que d'autres, lié à l'histoire de la royauté en France. Souvenons-nous du cri de guerre des Capétiens "Montjoie Saint Denis !"
Comme l'a écrit Gamaioun, Denis, ou Denys, vient de Dionysos, dieu grec de la vigne et du vin.
Le vin étant la représentation symbolique du sang. Et donc aussi du lignage par le sang.
Saint Denis contribua à l'évangélisation de la Gaule au IIIe siècle. Premier évêque de la ville qui allait devenir Paris, il fut décapité en 258 sur la colline de Montmartre.
Une légende, probablement inventée au IXe siècle raconte que le saint aurait lui-même porté sa tête jusqu'à l'emplacement de l'actuelle basilique de Saint-Denis, au nord de Paris, lieu où des moines recueillirent ses reliques. Ici, le but de cette légende aurait été purement lucratif : les moines, craignant que les rois ne délaissent leur abbaye (nécropole royale depuis l'époque de Dagobert) auraient recherché le prestige pour attirer plus de pèlerins, source de revenus et de dons.
Comme l'a écrit Gamaioun, Denis, ou Denys, vient de Dionysos, dieu grec de la vigne et du vin.
Le vin étant la représentation symbolique du sang. Et donc aussi du lignage par le sang.
Saint Denis contribua à l'évangélisation de la Gaule au IIIe siècle. Premier évêque de la ville qui allait devenir Paris, il fut décapité en 258 sur la colline de Montmartre.
Une légende, probablement inventée au IXe siècle raconte que le saint aurait lui-même porté sa tête jusqu'à l'emplacement de l'actuelle basilique de Saint-Denis, au nord de Paris, lieu où des moines recueillirent ses reliques. Ici, le but de cette légende aurait été purement lucratif : les moines, craignant que les rois ne délaissent leur abbaye (nécropole royale depuis l'époque de Dagobert) auraient recherché le prestige pour attirer plus de pèlerins, source de revenus et de dons.
Henri Schersch- Nombre de messages : 330
Age : 54
Date d'inscription : 21/07/2008
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