Point de croix
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Point de croix
L'homme, encore prosterné, eut un sursaut, comme s'il eût senti l'éperon.
D'un bond, il se redressa, face à la tempête.
Toute l'âme de sa race venait de tressaillir, - souvenir obscur du premier éveil parmi les bêtes plus fortes et mieux armées, - écho douloureux des longs efforts pour apprivoiser le blé et s'emparer du feu, - peur et rancune devant la force malfaisante, - cupidité de savoir et de tenir...
Tout à l'heure, dans la douceur du premier contact, il eût souhaité instinctivement se perdre dans la chaude haleine qui l'enveloppait.
Voici que l'onde de béatitude preque dissolvante s'était muée en âpre volonté de plus être.
L'homme avait flairé l'ennemie et la proie héréditaire.
Il enracina ses pieds dans le sol, et il commença à lutter.
Il lutta d'abord, pour n'être pas emporté; et puis, il lutta pour la joie de lutter, pour sentir qu'il était fort. Et plus il luttait, plus il sentait un surcroît de force sortir de lui pour équilibrer la tempête; et de celle-ci, en retour, un effluve nouveau émanait, qui passait, tout brûlant, dans ses veines.
Comme la mer, certaines nuits, s'illumine autour du nageur, et châtoie d'autant mieux en ses replis que les menbres robustes la brassent avec plus de vigueur, ainsi la puissance obscure qui combattait l'homme s'irradiait de milles feux autour de son effort.
Par un éveil mutuel de leurs puissances opposées, lui, il exaltait sa force pour la maîtriser, et elle, elle révélait ses trésors pour les lui livrer.
- Trempe-toi dans la Matière, Fils de la Terre, baigne-toi dans ses nappes ardentes, car elle est la source et la jeunesse de ta vie.
Ah! tu croyais pouvoir te passer d'elle, parce que la pensée s'est allumé en toi!
Tu espérais être d'autant plus proche de l'Esprit que tu rejetterais plus soigneusement ce qui le touche - plus divin si tu vivais dans l'idée pure, plus angélique, au moins, si tu fuyait les corps.
Eh bien! tu as failli périr de faim!
Il te faut de l'huile pour tes menbres, du sang pour tes veines, de l'eau pour ton âme, du Réel pour ton intelligence; il te les faut par la loi même de la nature, comprends-tu bien?...
Jamais, jamais, si tu veux vivre et croître, tu ne pourras dire à la Matière: "Je t'ai assez vue, j'ai fait le tour de tes mystères, j'en ai prélevé de quoi nourrir pour toujours ma pensée."
Même, comme le Sage des Sages, tu porterais dans ta mémoire l'image de tout ce qui peuple la Terre ou nage sous les eaux, cette Science serait comme rien pour ton âme, parce que toute connaissance abstraite est de l'être fané; parce que, pour comprendre le Monde, savoir ne suffit pas: il faut voir, toucher, vivre dans la présence, boire l'existence toute chaude au sein même de la Réalité.
Ne dis donc jamais, comme certains: " La Matière est usée, la Matière est morte!" - Jusqu'au dernier moment des Siècles, la Matière sera jeune et exubérante, étincelante et nouvelle pour qui voudra.
Ne répète pas non plus:" La Matière est condamnée, la Matière est mauvaise!" - Quelqu'un est venu qui a dit: "Vous boirez le poison et il ne vous nuira pas." - Et encore:" La vie sortira de la mort", et enfin proférant la parole définitive de ma libération:" Ceci est mon corps".
Non, la pureté n'est pas dans la séparation, mais dans une pénétration plus profonde de l'Univers. Elle est dans l'amour de l'unique Essence, incirconscrite, qui pénètre et travaille toutes choses par le dedans, - plus loin que la zone mortelle où s'agitent les personnages et les nombres. Elle est dans un chaste contact avec ce qui est " le même en tous ".
Oh, qu'il est beau l'Esprit s'élevant, tout paré des richesses de la Terre!
Baigne-toi dans la Matière, fils de l'Homme.
Plonge-toi en elle, là où elle est la plus violente et la plus profonde! Lutte dans son courant et bois son flot! C'est elle qui bercera ton inconscient; c'est elle qui te portera jusqu'au divin!
L'Homme dans le désert, vois fondre sur lui un ouragan: c'est la Matière, qu'il aura à charge de porter jusqu'à l'Esprit, car il est lui même cette part de la Matière où est apparue la conscience.
D'un bond, il se redressa, face à la tempête.
Toute l'âme de sa race venait de tressaillir, - souvenir obscur du premier éveil parmi les bêtes plus fortes et mieux armées, - écho douloureux des longs efforts pour apprivoiser le blé et s'emparer du feu, - peur et rancune devant la force malfaisante, - cupidité de savoir et de tenir...
Tout à l'heure, dans la douceur du premier contact, il eût souhaité instinctivement se perdre dans la chaude haleine qui l'enveloppait.
Voici que l'onde de béatitude preque dissolvante s'était muée en âpre volonté de plus être.
L'homme avait flairé l'ennemie et la proie héréditaire.
Il enracina ses pieds dans le sol, et il commença à lutter.
Il lutta d'abord, pour n'être pas emporté; et puis, il lutta pour la joie de lutter, pour sentir qu'il était fort. Et plus il luttait, plus il sentait un surcroît de force sortir de lui pour équilibrer la tempête; et de celle-ci, en retour, un effluve nouveau émanait, qui passait, tout brûlant, dans ses veines.
Comme la mer, certaines nuits, s'illumine autour du nageur, et châtoie d'autant mieux en ses replis que les menbres robustes la brassent avec plus de vigueur, ainsi la puissance obscure qui combattait l'homme s'irradiait de milles feux autour de son effort.
Par un éveil mutuel de leurs puissances opposées, lui, il exaltait sa force pour la maîtriser, et elle, elle révélait ses trésors pour les lui livrer.
- Trempe-toi dans la Matière, Fils de la Terre, baigne-toi dans ses nappes ardentes, car elle est la source et la jeunesse de ta vie.
Ah! tu croyais pouvoir te passer d'elle, parce que la pensée s'est allumé en toi!
Tu espérais être d'autant plus proche de l'Esprit que tu rejetterais plus soigneusement ce qui le touche - plus divin si tu vivais dans l'idée pure, plus angélique, au moins, si tu fuyait les corps.
Eh bien! tu as failli périr de faim!
Il te faut de l'huile pour tes menbres, du sang pour tes veines, de l'eau pour ton âme, du Réel pour ton intelligence; il te les faut par la loi même de la nature, comprends-tu bien?...
Jamais, jamais, si tu veux vivre et croître, tu ne pourras dire à la Matière: "Je t'ai assez vue, j'ai fait le tour de tes mystères, j'en ai prélevé de quoi nourrir pour toujours ma pensée."
Même, comme le Sage des Sages, tu porterais dans ta mémoire l'image de tout ce qui peuple la Terre ou nage sous les eaux, cette Science serait comme rien pour ton âme, parce que toute connaissance abstraite est de l'être fané; parce que, pour comprendre le Monde, savoir ne suffit pas: il faut voir, toucher, vivre dans la présence, boire l'existence toute chaude au sein même de la Réalité.
Ne dis donc jamais, comme certains: " La Matière est usée, la Matière est morte!" - Jusqu'au dernier moment des Siècles, la Matière sera jeune et exubérante, étincelante et nouvelle pour qui voudra.
Ne répète pas non plus:" La Matière est condamnée, la Matière est mauvaise!" - Quelqu'un est venu qui a dit: "Vous boirez le poison et il ne vous nuira pas." - Et encore:" La vie sortira de la mort", et enfin proférant la parole définitive de ma libération:" Ceci est mon corps".
Non, la pureté n'est pas dans la séparation, mais dans une pénétration plus profonde de l'Univers. Elle est dans l'amour de l'unique Essence, incirconscrite, qui pénètre et travaille toutes choses par le dedans, - plus loin que la zone mortelle où s'agitent les personnages et les nombres. Elle est dans un chaste contact avec ce qui est " le même en tous ".
Oh, qu'il est beau l'Esprit s'élevant, tout paré des richesses de la Terre!
Baigne-toi dans la Matière, fils de l'Homme.
Plonge-toi en elle, là où elle est la plus violente et la plus profonde! Lutte dans son courant et bois son flot! C'est elle qui bercera ton inconscient; c'est elle qui te portera jusqu'au divin!
L'Homme dans le désert, vois fondre sur lui un ouragan: c'est la Matière, qu'il aura à charge de porter jusqu'à l'Esprit, car il est lui même cette part de la Matière où est apparue la conscience.
Diotima- Nombre de messages : 9
Date d'inscription : 22/08/2010
Re: Point de croix
Bonjour !
Bravo, Diotima, pour avoir mis en ligne ce beau texte poétique.
Contrairement au précédent, ( Nous n'avons fait que fuir), ce texte-ci, je le comprends (intellectuellement), et je le com-prends (je le prends avec moi, en moi).
Il parle à mon âme.
Il est vrai que son auteur, le père Pierre Teilhard de Chardin, qui écrivit ce texte il y a bientôt un siècle (achevé à Jersey le 8 août 1919), était un personnage hors du commun !
Connu autant pour ses ouvrages théologiques et spirituels que pour ses travaux en géologie et paléologie.
Et aussi, bien sûr, pour sa participation à la Croisière Jaune, de Paris à Pékin en Citroën.
C'est pour cela qu'il est tant copié et recopié, à juste titre :
http://rmitte.free.fr/suivre/teilhard/matiere1.htm
http://poeme-libre.jepoeme.com/discussion-254556-Materia_prima/1.html
http://www.oasisdesartistes.com/modules/newbbex/viewtopic.php?topic_id=85308&forum=29
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Bravo, Diotima, pour avoir mis en ligne ce beau texte poétique.
Contrairement au précédent, ( Nous n'avons fait que fuir), ce texte-ci, je le comprends (intellectuellement), et je le com-prends (je le prends avec moi, en moi).
Il parle à mon âme.
Il est vrai que son auteur, le père Pierre Teilhard de Chardin, qui écrivit ce texte il y a bientôt un siècle (achevé à Jersey le 8 août 1919), était un personnage hors du commun !
Connu autant pour ses ouvrages théologiques et spirituels que pour ses travaux en géologie et paléologie.
Et aussi, bien sûr, pour sa participation à la Croisière Jaune, de Paris à Pékin en Citroën.
C'est pour cela qu'il est tant copié et recopié, à juste titre :
http://rmitte.free.fr/suivre/teilhard/matiere1.htm
http://poeme-libre.jepoeme.com/discussion-254556-Materia_prima/1.html
http://www.oasisdesartistes.com/modules/newbbex/viewtopic.php?topic_id=85308&forum=29
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Laposse- Nombre de messages : 242
Age : 55
Date d'inscription : 05/04/2008
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