Haïku : parole et silence
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Haïku : parole et silence
Un joli texte qui vient d'ici
Lire et écrire des haïkus, c’est prendre le temps de s’arrêter et de se retrouver, de regarder autrement et d’écouter le silence.
Dans notre société de consommation axée sur la vitesse et le divertissement, la pratique du haïku peut paraître anachronique. Pourtant, ce poème bref s’insère bien dans notre mode de vie rapide où le temps file à vive allure. Le haïku nous invite à regarder le temps qui passe, à contempler les choses pour ce qu’elles sont, à donner de l’importance aux petits riens du quotidien, à s’étonner devant l’instant qui nous échappe.
Un haïku ne développe pas, il évoque. C’est une photographie de l’instant dont un détail précis est agrandi, développé en quelques mots, comme pour remplir un vide. C’est un éclair qu’il faut prolonger dans le temps, un fragment d’éternité qui se fige dans l’instant présent. Léger et fulgurant, il naît de la vie et y retourne. Il s’enracine dans l’instant pour mieux relier le visible et l’invisible. « Ce poème minuscule saisit d’un trait la cause et l’effet, le commencement et la fin, la limite et l’illimité. Dans un même mouvement, il lie et délie, annonce et accomplit, enflamme et consume. »
Le haïku est plus qu’un simple poème. Il s’insinue partout, accompagne la vie, rend compte d’une expérience. Roger Munier, poète des aphorismes, parle de l’écriture et de la lecture du haïku comme d’un exercice spirituel. Ainsi, « ce que propose un haïku achevé est une expérience qui s’identifie peu ou prou à celle de satori, de l’illumination. » On parle alors d’éveil, de révélation, de libération, de contemplation.
La simplicité audacieuse du haïku va de pair avec la profondeur. Gaston Bachelard disait que « la miniature est un des gîtes de la profondeur. » Il faut sans cesse raccourcir pour aller au plus creux. C’est l’arbre qui cache la forêt, la goutte qui contient la mer, la lune qui marque les saisons. Le style dépouillé et sobre du haïku laisse peu de place aux artifices littéraires, comme la rime, pour mieux mettre en valeur des détails et des sensations qui autrement passeraient inaperçus, tel cet exemple de Jôsô :
Plus froide que la neige
la lune d’hiver
sur des cheveux blancs
La magie du haïku opère lorsque ce qui semblait banal s’impose à la conscience. Les images parlent, nomment, rayonnent, signifient. Elles sont des figures portées par le rythme des saisons : brume, pluie, labour, lune, érable, lièvre, fourmi, fleur, vent, lac, libellule, montagne, neige. Le moment présent dévoile alors la densité que l’image recèle et le silence qui l’enveloppe.
Quand les pivoines fleurissent
il semble qu’il n’est plus
d’autres fleurs autour d’elles
Le haïku émerge du silence et y revient non sans avoir accompli son effet chez le lecteur, souvent à son insu. Il nous fait entendre le silence entre les mots, comme le soir des prairies brumeuses et des eaux tranquilles.
Les prairies sont brumeuses
les eaux font silence
c’est le soir
Le haïkiste n’a au fond qu’une seule parole à délivrer, celle qui jaillit du silence. Cette parole unique vient du silence sonore. Elle est habitée par la substance secrète des êtres et des choses, ce que nous appelons confusément la réalité. Le haïkiste se tient à l’affût de la moindre image qui délivre cette parole silencieuse. Il guette sa proie, même s’il est lui-même chassé. Il se promène à la recherche des signes, un peu comme Félix Leclerc avec son Calepin du flâneur. Parfois, il cueille une image qu’il couche sur ce « vide papier que la blancheur défend » (Mallarmé). Ce peut être une fleur qui cache la parole dans le blanc d’un silence ou une chaloupe dans laquelle deux épouvantails pêchent leurs ombres.
Paul Valéry, qui s’est beaucoup intéressé au haïku et à la poésie japonaise, disait qu’une oeuvre n’est jamais terminée, on ne peut que l’abandonner à la publication. Tel ce recueil de haïkus dont les sections sont une tentative de traduire cette poésie de l’instant, ces impressions de l’âme; « traduire » dans le sens de conduire à travers l’inattendu : images du moment, traces d’amour, silences des objets, instants de grâce. Ce n’est rien d’autre qu’une célébration de la vie et de la mort qui passe par le besoin de dire et le désir d’aimer.
Jacques Gauthier, Pêcher l'ombre, David, 2002
Lire et écrire des haïkus, c’est prendre le temps de s’arrêter et de se retrouver, de regarder autrement et d’écouter le silence.
Dans notre société de consommation axée sur la vitesse et le divertissement, la pratique du haïku peut paraître anachronique. Pourtant, ce poème bref s’insère bien dans notre mode de vie rapide où le temps file à vive allure. Le haïku nous invite à regarder le temps qui passe, à contempler les choses pour ce qu’elles sont, à donner de l’importance aux petits riens du quotidien, à s’étonner devant l’instant qui nous échappe.
Un haïku ne développe pas, il évoque. C’est une photographie de l’instant dont un détail précis est agrandi, développé en quelques mots, comme pour remplir un vide. C’est un éclair qu’il faut prolonger dans le temps, un fragment d’éternité qui se fige dans l’instant présent. Léger et fulgurant, il naît de la vie et y retourne. Il s’enracine dans l’instant pour mieux relier le visible et l’invisible. « Ce poème minuscule saisit d’un trait la cause et l’effet, le commencement et la fin, la limite et l’illimité. Dans un même mouvement, il lie et délie, annonce et accomplit, enflamme et consume. »
Le haïku est plus qu’un simple poème. Il s’insinue partout, accompagne la vie, rend compte d’une expérience. Roger Munier, poète des aphorismes, parle de l’écriture et de la lecture du haïku comme d’un exercice spirituel. Ainsi, « ce que propose un haïku achevé est une expérience qui s’identifie peu ou prou à celle de satori, de l’illumination. » On parle alors d’éveil, de révélation, de libération, de contemplation.
La simplicité audacieuse du haïku va de pair avec la profondeur. Gaston Bachelard disait que « la miniature est un des gîtes de la profondeur. » Il faut sans cesse raccourcir pour aller au plus creux. C’est l’arbre qui cache la forêt, la goutte qui contient la mer, la lune qui marque les saisons. Le style dépouillé et sobre du haïku laisse peu de place aux artifices littéraires, comme la rime, pour mieux mettre en valeur des détails et des sensations qui autrement passeraient inaperçus, tel cet exemple de Jôsô :
Plus froide que la neige
la lune d’hiver
sur des cheveux blancs
La magie du haïku opère lorsque ce qui semblait banal s’impose à la conscience. Les images parlent, nomment, rayonnent, signifient. Elles sont des figures portées par le rythme des saisons : brume, pluie, labour, lune, érable, lièvre, fourmi, fleur, vent, lac, libellule, montagne, neige. Le moment présent dévoile alors la densité que l’image recèle et le silence qui l’enveloppe.
Quand les pivoines fleurissent
il semble qu’il n’est plus
d’autres fleurs autour d’elles
Le haïku émerge du silence et y revient non sans avoir accompli son effet chez le lecteur, souvent à son insu. Il nous fait entendre le silence entre les mots, comme le soir des prairies brumeuses et des eaux tranquilles.
Les prairies sont brumeuses
les eaux font silence
c’est le soir
Le haïkiste n’a au fond qu’une seule parole à délivrer, celle qui jaillit du silence. Cette parole unique vient du silence sonore. Elle est habitée par la substance secrète des êtres et des choses, ce que nous appelons confusément la réalité. Le haïkiste se tient à l’affût de la moindre image qui délivre cette parole silencieuse. Il guette sa proie, même s’il est lui-même chassé. Il se promène à la recherche des signes, un peu comme Félix Leclerc avec son Calepin du flâneur. Parfois, il cueille une image qu’il couche sur ce « vide papier que la blancheur défend » (Mallarmé). Ce peut être une fleur qui cache la parole dans le blanc d’un silence ou une chaloupe dans laquelle deux épouvantails pêchent leurs ombres.
Paul Valéry, qui s’est beaucoup intéressé au haïku et à la poésie japonaise, disait qu’une oeuvre n’est jamais terminée, on ne peut que l’abandonner à la publication. Tel ce recueil de haïkus dont les sections sont une tentative de traduire cette poésie de l’instant, ces impressions de l’âme; « traduire » dans le sens de conduire à travers l’inattendu : images du moment, traces d’amour, silences des objets, instants de grâce. Ce n’est rien d’autre qu’une célébration de la vie et de la mort qui passe par le besoin de dire et le désir d’aimer.
Jacques Gauthier, Pêcher l'ombre, David, 2002
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