Le carré magique Luo Shu
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Le carré magique Luo Shu
Le carré magique Luo Shu
1. Les carrés magiques
Les carrés magiques sont habituellement des carrés de nombres entiers. La somme de chacune des lignes, de chacune des colonnes et des deux diagonales principales de ces carrés est identique.
L'organisation de ces matrices est remarquable. Chaque nombre est complémentaire. Ils participent tous à la perfection du système.
Dès l'origine, ces structures sont associées à l'harmonie universelle. Elles manifestent l'existence d'un principe d'ordonnance mystérieux qui s'applique partout et en tout.
Reproduction d'un carré magique d'ordre 6 et de constante 111.
Le carré est gravé sur une plaque de fer. Il fut retrouvé à Xi'an dans la province du Shaanxi, en Chine (1956). Il date de la dynastie Yuan (1271-1368). Les chiffres sont arabes de variante orientale.
2. Le premier carré magique
La première référence connue à un carré magique se trouve dans la pensée ésotérique chinoise du premier siècle. Le Da Dai Liji1, une compilation qui traite de cérémonies rituelles, mentionne un carré magique d'ordre 3 et de constante 15. Il se constitue des chiffres de 1 à 9, organisés en carré, de telle manière que la somme des lignes, des colonnes et des diagonales est toujours 15. On peut remarquer que les chiffres impairs s'y présentent en croix alors que les pairs se retrouvent aux quatre extrémités.
Il existe huit aspects du carré magique d'ordre 3, mais ils sont tous obtenus par symétrie, rotation ou demi-tour de la même organisation.
3. Le carré et le Ming t'ang
Le Da Dai Liji précise qu'il convient d'associer le carré magique d'ordre 3 aux neuf salles du Ming t'ang2.
Le Ming t'ang, la « Maison du Calendrier », est un temple qui représente le Cosmos. Son toit est rond pour figurer le Ciel. Sa structure carrée fait référence à la Terre. Ses neuf salles renvoient aux neuf Régions qui partagent la Terre et aux neuf Provinces de l'Empire chinois.
Par la loi d'analogie en vigueur dans l'ésotérisme chinois, le Ming t'ang est plus qu'une simple figuration du Monde. Ainsi, quand l'empereur se rendait à l'intérieur du Temple, c'est au centre du Monde qu'il pénétrait.
Ses circumambulations dans les neuf chambres étaient supposées agir directement sur l'équilibre du Monde. Elles suscitaient et favorisaient « l'apparition du cycle complet de jours qui compose une année »3. Elles suffisaient à « ordonner l'Espace et le Temps et à maintenir une exacte liaison des Saisons et des Orients ».
Comme le carré magique, le Ming t'ang a douze façades. Celles-ci correspondent à douze stations, aux douze mois de l'année solaire. Les quatre cotés du carré symbolisent les saisons. Les trois façades du côté oriental figurent les trois mois de printemps, celles du côté méridionale les trois mois d'été, celles du côté occidental les trois mois d'automne, et celles du côté septentrionale les trois mois d'hiver4.
4. Première approche symbolique
Cette loi de correspondance qui s'applique au Ming t'ang s'applique aussi au carré magique d'ordre 3. Il devient la manifestation intelligible de l'ordre cosmique, qui peut renseigner sur la structure de l'Univers.
Ainsi, H. C. Agrippa affirme : « Celui qui saura allier les nombres de l'énumération et du compte avec les nombres divins et qui saura les harmoniser, celui-là pourra opérer de grandes choses par les nombres et connaîtra d'admirables secrets. »5
Dans cette perspective, on peut noter que la chambre centrale du temple porte le chiffre 5. Il correspond aux cinq Phases : la terre, le feu, le métal, l'eau et le bois. Mais aussi aux cinq notes de musique, au cinq sens, au cinq planètes, au cinq points cardinaux...
La constante 15 rappelle le nombre de jours qu'il faut à la nouvelle lune pour devenir pleine. C'est, dans le calendrier chinois, le nombre de jours qui composent chacun des vingt-quatre segments solaires de l'année.
5. Le diagramme Luo shu
Durant la dynastie Song (960-1279), l'interprétation du carré magique 3x3 a prit un essor considérable. Les textes médiévaux chinois l'ont appelé carré Luo shu afin de l'associer aux légendes relatives à Yu le Grand.
Ce personnage mythique aurait vu une tortue sacrée sortir de la rivière Luo avec, inscrit sur sa carapace, le Luo shu : le « Livre de [la rivière] Luo ». La tradition dit que ce livre contenait une « image du Monde » (Hong fan). Lorsque Yu reçu en présent cette synthèse divine, ce modèle universel, il s'en servit pour mesurer et diviser le Monde en un carré de neuf régions, neuf Marais, neuf Fleuves, neuf Montagnes.
À l'époque des Song, plus personne ne sait exactement ce que contient le Luo shu. C'est assez naturellement qu'il fut identifié au carré magique d'ordre 3. Dans la pensée chinoise, la tortue comme le carré sont des symboles du monde terrestre. Le carré magique et la carapace de la tortue portent le cinq en leur milieu.
Le Luo shu des Song prend la forme d'un diagramme constitué de ronds blancs (yang) ou noirs (yin) qui marquent la présence des chiffres pairs et impairs.
Il est introduit dans le système du Yi jing6, un texte fondamental de la pensée chinoise et le plus grand traité de divination sur base de signes binaires.
6. Le Hong fan, modèle universel
L'association du carré magique d'ordre 3 au mystérieux Luo shu lui confère une importance de premier ordre. Il est la clé, la pierre philosophale, qui contient à l'état le plus pur tous les secrets de l'univers. Les Nombres qui le constituent ainsi que leur organisation fait l'objet de nombreuses recherches et extrapolations. Celles-ci se constituent de corrélations, de similarités avec d'autres éléments de la culture chinoise tels que les cinq Phases, les cinq organes, les douze Animaux du zodiaque, les huit Trigrammes, etc.
L'idée était de constituer et de développer un modèle universel (Hong fan) sur la base du carré magique. Le Hong fan se formalisa en un tout cohérent présenté dans un chapitre dédié du Shu jing7. Il se découpe en neuf sections qui traitent de thématiques diverses.
La cinquième section concerne le « milieu du Maître ». Le Souverain qui trouve le juste milieu peut acquérir les cinq Félicités et en faire jouir son peuple. Ce précepte de voie du milieu fait office de règle primordiale et immuable dont la pratique conduirait toute personne à se « rapprocher de la lumière du fils du Ciel »8. Comme pour le cinq du carré Luo shu, on retrouve l'idée d'un point de convergence qui donne accès et permet l'élévation vers la sphère céleste.
Il semble que l'ensemble des sections du Hong fan peut être organisé sous la forme du carré Luo shu. Certains s'essayent à retrouver cette même structure dans le contenu de chaque section.9
Table mystique tibétaine au centre de laquelle se trouve le carré Luo shu.
Paul Carus, Chinese occultism, Library of Alexandria, 1907, p.48
1. « Traité des rites de Dai l'Aîné ». Ouvrage apocryphe datant du 1er siècle.
2. Jean-Jacques Velly, Le dessous des notes - voies vers l'ésosthétique, Série Études, Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, Paris, 2001, note n°5, p.307.
3. Marcel Granet, La pensée chinoise, Albin Michel, Paris, 1934, p.150.
4. René Guénon, La Grande Triade, 1946, chap.16 – Le Ming-tang.
5. Henri-Corneille Agrippa, La philosophie occulte, Tome 2 ch3, p.216.
6. « Traité canonique des mutations ». Élaboré sous les Zhou (-1027,-256 av. JC).
7. « Classique des documents ». Compilation de textes « reconstitués » pour la plupart sous les Zhou (-1027,-256 av. JC).
8. J. de Guignes, J. Henri de Prémare, A. Gaubil, Le Chou-king un des livres sacrés des Chinois, Part. 4 ch. 4 – Hong-fan, Tilliard, Paris, 1770, p.169.
9. Artiémiï M. Karapétiants, Modèle universel (Hong fan) et classifications chinoises antiques à cinq et à neuf termes, in Extrême-Orient – Extrême-Occident n°13, 1991, p.111.
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